Art. 5/ Les 3 étapes de l’empathie selon Serge tisseron

 
« Elle consiste à reconnaître à l’autre la possibilité de m’éclairer sur des parties de moi-même que j’ignore. »
— Tisseron, S.
  • Explication de l’empathie selon le psychiatre Serge Tisseron

Tisseron, S., & Bass, H. P. (2011). L'empathie, au cœur du jeu social. Le Journal des psychologues, 286(3), 20-23.


 

L’identification est donc le premier étage. Elle consiste à comprendre le point de vue de l’autre (c’est l’empathie cognitive) et ce qu’il ressent (c’est l’empathie émotionnelle). « S’identifier » ne signifie pas que l’on se mette totalement à la place de l’autre, mais qu’une résonance s’établit entre ce que l’autre éprouve et pense, et ce que l’on éprouve et pense soi-même. L’identification ne nécessite pas de reconnaître à l’autre la qualité d’être humain. On peut s’identifier à un héros de dessin animé ou de roman que l’on ne fait qu’imaginer. On peut s’identifier à quelqu’un sans le regarder, et sans même qu’il s’en aperçoive. Je peux, par exemple, me mettre à la place du serveur qui m’apporte mon repas au restaurant et lui donner un pourboire parce que je pense que, à sa place, cela m’apparaîtrait normal, sans pour autant le regarder ni rien lui manifester. La première marche de l’empathie est unilatérale.


Le deuxième étage de l’empathie est la reconnaissance mutuelle. Elle fonde la réciprocité. Non seulement je m’identifie à l’autre, mais je lui accorde le droit de s’identifier à moi, autrement dit de se mettre à ma place et, ainsi, d’avoir accès à ma réalité psychique, de comprendre ce que je comprends et de ressentir ce que je ressens.

Cette reconnaissance renvoie à l’expérience du miroir. Elle implique un contact direct ainsi que tous les gestes expressifs, tels que le sourire, le regard croisé et les expressions faciales, par lesquels j’atteste accepter de faire de l’autre un partenaire d’interactions émotionnelles et motrices. Inversement, l’absence de cette médiation expressive revient à nier l’existence de l’autre.

La reconnaissance mutuelle a trois facettes : reconnaître à l’autre la possibilité de s’estimer lui-même comme je le fais pour moi (c’est la composante du narcissisme) ; lui reconnaître la possibilité d’aimer et d’être aimé (c’est la composante des relations d’objet) ; lui reconnaître la qualité de sujet du droit (c’est la composante de la relation au groupe).

Cette acceptation de la réciprocité peut évidemment mobiliser d’importantes angoisses liées aux premières années de la vie : angoisses d’intrusion, de manipulation et de contrôle par autrui. En outre, l’empathie est menacée par le désir d’emprise. Ces deux raisons peuvent nous amener à retirer certains de nos semblables du bénéfice de notre empathie. Seul subsiste alors, avec eux, le fait que nous puissions nous identifier à eux, éventuellement pour les manipuler.


Enfin, le troisième étage de l’empathie est l’intersubjectivité. Elle consiste à reconnaître à l’autre la possibilité de m’éclairer sur des parties de moi-même que j’ignore. C’est, bien sûr, le cas de celui qui consulte un thérapeute, mais c’est heureusement une situation que l’on peut rencontrer dans une relation amicale ou amoureuse. Alors les barrières tombent… C’est ce que je nomme l’« empathie extimisante », pour la rapprocher de la notion d’extimité que j’ai développée depuis 2001. Dans l’empathie extimisante, il ne s’agit plus seulement de s’identifier à l’autre, ni même de reconnaître à l’autre la capacité de s’identifier à soi en acceptant de lui ouvrir ses territoires intérieurs, mais de se découvrir à travers lui différent de ce que l’on croyait être et de se laisser transformer par cette découverte.

Cette empathie complète nécessite d’être capable d’entrer en résonance avec un autre sans s’en sentir menacé. En effet, admettre que l’autre a la capacité de m’informer sur moi-même, c’est lui reconnaître la possibilité d’établir sur moi une emprise. Évidemment, seules les personnes capables de faire confiance et de s’imaginer changer vivront cette forme complète d’empathie. Les autres en auront peur et se replieront sur les formes d’empathie moins complètes, ne mobilisant aucune menace et, surtout, sur la première, n’impliquant que l’identification, parce qu’elle autorise toutes les formes de manipulation. Aussitôt que quelqu’un craint d’être manipulé par autrui, il a une propension à le manipuler pour éviter de l’être lui-même.

 

Ép. 5/

Les trois étapes de l’empathie selon serge tisseron

 
 
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